[ Tribune ] « La saga Suez-Veolia montre, une fois encore, les limites de l’État actionnaire »

Par Valérie Ohannessian

Publié le 13/10/2020 à 22:17

Valérie Ohannessian, membre de la Fondation Concorde -– think tank libéral –, revient sur l’impuissance de l’État lors de la vente par Engie de ses parts dans Suez à Veolia. Une défaite qui, selon elle, doit le conduire à repenser son rôle et ses moyens.

Dis-moi oui, En-gie… Dans la chanson des Rita Mitsouko, Andy veut éviter les ennuis et rentre chez lui. Mais dans la vie, Engie a dit oui et vendu ses titres à Veolia. C’est comme ça…

LES LIMITES DE L’ÉTAT ACTIONNAIRE

Le conseil d’administration de l’énergéticien français a, en effet, accepté de céder sa part de 29,9 % dans Suez à Veolia pour 3,4 milliards d’euros, et ouvert à ce dernier la voie d’une OPA sur son concurrent historique. La prise de contrôle de Suez par Veolia est censée permettre la construction d’un super champion des services à l’environnement. L’objectif est de peser davantage sur les marchés du traitement de l’eau et des déchets, notamment aux États-Unis et en Asie.

Des craintes cependant se cristallisent autour des questions de concurrence – Veolia devra céder des actifs de Suez pour éviter l’abus de position dominante – et d’emploi –, le risque porterait sur quelque 10.000 suppressions de postes en France et à l’étranger. La question industrielle est délicate, les arguments en faveur de la création de valeur se heurtant à l’idée que ce mariage forcé pourrait aussi en détruire pas mal. Et voilà l’État hésitant entre son intérêt de propriétaire, ses solidarités actionnariales et sa vision de l’intérêt général. »Comme actionnaire, l’État ne fait pas (plus) la loi »

Cette saga industrielle et financière montre, une fois encore, les limites de l’État actionnaire. Son influence n’a pas pu empêcher Engie de vendre ses actions à Veolia. Ses trois représentants ont voté contre mais ils n’ont pas réussi à entraîner l’adhésion d’une majorité. Pourquoi d’ailleurs ce revirement, alors que le Premier ministre avait publiquement affirmé que le rapprochement des numéros un et deux du traitement de l’eau et des déchets « faisait sens » ? C’est que l’État est en faveur d’une opération « amicale », il déclare s’opposer à une opération de rachat par Veolia tant que Suez la considérera comme hostile.

Il s’inquiète de la casse sociale qui pourrait résulter de ce rapprochement et de la perte de souveraineté qui pourrait en découler, si certains actifs stratégiques devaient être cédés et quitter un contrôle français. Mais si l’État est dans son rôle en affichant ces préoccupations légitimes, le vote du 5 octobre lui rappelle que comme actionnaire, même avec 23,6 % du capital, il ne fait pas (plus) la loi.

HUMILIATION POLITIQUE

Cette humiliation politique est la marque des temps qui changent. Les dirigeants des entreprises privées affirment sans complexe leur liberté face à une puissance publique trop longtemps habituée à participer directement au grand mécano des affaires. Ce faisant, ils se donnent aussi une responsabilité propre. Veolia a fait voter lors de son assemblée générale, en 2019, une raison d’être. L’occasion pour son président d’affirmer que son « entreprise est prospère parce qu’elle est utile pour l’ensemble de ses parties prenantes, et non l’inverse« .

Ce nouveau rapport de force ne doit pas conduire à disqualifier la puissance publique mais l’invite à repenser son rôle et ses outils. L’État régulateur doit vite apprendre à construire son autorité de partie prenante dépositaire de l’intérêt général, responsable de notre souveraineté économique et garante du long terme.