Retraites : la réforme qu’il faut vraiment faire (Les Echos)

La réforme Delevoye des retraites n’a plus rien à voir avec la promesse d’un régime universel faite par Emmanuel Macron. On s’oriente en réalité vers un système de spoliation des régimes complémentaires et professionnels qui se verront ponctionner leurs réserves, écrit Christian Saint-Etienne. Il faut tout revoir. Voici comment.

 

Au début, tout était clair : on allait remplacer les 42 régimes de retraite actuellement opérationnels en France par un seul régime universel, en sorte qu’un euro cotisé rapporte la même prestation à la retraite pour tout le monde. Qui peut être contre une telle proposition ?

Puis on a appris que ce régime universel serait un régime unique, ce qui n’est pas la même chose. On peut avoir plusieurs gestionnaires dans un régime universel appliquant les mêmes règles à tout le monde, mais un seul dans un régime unique. Or s’il y a actuellement trois grands régimes (salariés du privé, salariés du public et indépendants), il y a plusieurs régimes complémentaires (Agirc-Arrco) ou professionnels (avocats, médecins, etc.) ayant ensemble accumulé plus de 120 milliards d’euros de réserves sur leurs cotisations propres au cours des dernières décennies. Les régimes professionnels sont excédentaires et versent même pour certains des contributions au régime général.

De fait, la réforme Delevoye n’est plus celle promise par Emmanuel Macron – le régime universel -, mais un système soviétique préparant une spoliation colossale des régimes complémentaires et professionnels qui seront délestés de leurs réserves.

Système financier et opaque

Plus fondamentalement, cette réforme prépare le passage d’un régime de retraite par répartition en annuités à un régime à points. Or le régime en annuités est social, car il nivelle beaucoup les différences de revenus, et transparent car tout le monde comprend que lorsqu’une profession doit cotiser quarante-trois ans, ce n’est pas la même chose que trente-sept ans pour une autre.

En revanche, un système à points est financier et opaque. Financier, car une commission calcule annuellement la valeur du point en fonction de la croissance économique ou d’autres critères… Opaque, car on peut attribuer, et on attribuera au cours des décennies futures, des points bonus aux professions qui savent se faire entendre sans que la population comprenne réellement ce dont il s’agit.

Enfin, une projection honnête du nouveau système, avec les caractéristiques annoncées, en prenant en compte une croissance annuelle potentielle de 1,25 % sur les quarante prochaines années, conduit à penser que le poids des prestations de retraite devrait passer de 14 % du PIB aujourd’hui – contre un poids de moins de 10 % du PIB des régimes de retraite en moyenne dans les pays comparables à la France (moyenne OCDE) – à 15 %, voire à 16 % du PIB, à moins que la valeur du point ne baisse fortement…

Revenir à l’idée originelle

Que faire pour revenir à l’idée originelle d’un régime universel à plusieurs gestionnaires ? Il faut, pour protéger le peuple aujourd’hui et demain, rester au régime par répartition en annuités jusqu’à deux fois le plafond de la Sécurité sociale (PSS), mettre en place des régimes complémentaires en répartition ou capitalisation au-delà, selon les désirs des professionnels et des assurés, tout en alignant les régimes sur les mêmes règles avec portabilité des droits d’un régime à l’autre.

Pour limiter le poids des retraites dans un contexte de vieillissement en bonne santé, il faut passer à un âge de départ de 64 ans et une durée de cotisation de quarante-quatre ans en six ans. Il faut compléter ces règles par un système de décote/surcote qui permet de partir à 62 ans pour ceux qui ont déjà quarante-quatre ans de cotisation et permettre de travailler jusqu’à 67 ans pour ceux qui n’ont pas les annuités, ou avec surcote pour ceux qui les ont, 67 ans restant l’âge du taux plein sans condition de durée de cotisation.

Dans ce cadre systémique, on peut avoir un régime universel avec 5 gestionnaires : 1 pour les salariés du privé, 1 pour les salariés du public, 1 pour les indépendants, 1 pour les régimes spéciaux du public et 1 pour les régimes professionnels du privé. On passe de 42 régimes à 5 avec les mêmes règles et une portabilité d’un régime à l’autre avec les mêmes codifications informatiques assurant une interopérabilité complète. Le salaire de référence doit être celui des 25 meilleures années pour tous, ce qui laisse de côté 19 années où l’on a pu être en difficulté professionnelle. L’intuition originelle de Macron était l’universalité et la transparence entre régimes. Revenons-y urgemment !

Christian Saint-Etienne

Publié dans Les Echos le 28/11/2019