Comment sauver nos finances publiques ? Enrayer l’hémorragie budgétaire avant toute réforme fiscale

Enrayer l'hémorragie budgétaire avant toute réforme fiscale


Sauver les finances publiques de notre pays impose au préalable de sortir de la culture du déni et de la quête électoraliste sous peine de mener la France aux difficultés les plus graves. Alors que la réforme fiscale s'impose comme thème favori des acteurs de la scène politico-médiatique, il serait irresponsable d'en venir à de tels bouleversements dans les conditions économiques actuelles. L'évidence budgétaire dans ce contexte de crise devrait être le moratoire ou l'apnée, c'est-à-dire la suspension de toute réforme fiscale. Au lieu de soutenir à tout prix le niveau de dépenses publiques de notre pays (parmi les plus élevé du monde) en renforçant la fiscalité, il faut au contraire réduire celles-ci pour enrayer le déclin de la France. Pour cela, il faut compléter les démarches entreprises depuis 2007 en restaurant la sélectivité des politiques publiques. Cependant, même une telle démarche ne suffira pas à accomplir la contraction considérable de la dépense publique qui s'impose. Il faudra donc, pour y parvenir, s'interroger sur les activités dont le financement est collectivisé actuellement en France et identifier celles qui pourraient être rendues en tout ou partie au libre marché ou aux partenaires sociaux. La réduction nécessaire des dépenses publiques en France n'est pas une option mais une nécessité incontournable dès lors que la pratique des déficits va cesser.

Sortir de la culture du déni et de la quête électoraliste

Depuis les années 1990, tous les experts consultés ont dit et écrit que la pratique permanente du déficit menait la France aux difficultés les plus graves. Mais jusque récemment, les acteurs politiques et médiatiques qui animent le débat public ont partagé sans réelle nuance selon leurs sensibilités une véritable culture du déni, préférant poursuivre la quête électoraliste d'un Etat toujours plus providentiel.

La crise grecque puis la crise de l'Euro ont marqué à cet égard une rupture. La conviction que les marchés financeront bien toujours les déficits des Etats s'est lézardée même chez les plus lents. Et les plus rapides ont compris que s'achève une parenthèse historique où la pratique régulière du déficit était possible aux Etats ; très prochainement, l'équilibre budgétaire sera un minimum à peine admissible, un certain effort de remboursement de la dette s'imposant aux Etats sérieux.

Suspendre toute réforme fiscale dans les conditions économiques actuelles

Mais cette prise de conscience s'accompagne d'une montée irrésistible de la réforme fiscale comme thème favori des mêmes acteurs de la même scène politico-médiatique. On a vu successivement :

– les médias unanimes marteler pendant des mois que "la crise rend la hausse des impôts inévitable",

– puis la majorité parlementaire infliger à l'exécutif des camouflets sans précédent sous la Vème République sur des thèmes variés de réformes fiscales à somme nulle ou accroissant les prélèvements,

– enfin, l'exécutif lui-même obtempérer à ces abjurations unanimes, d'abord sur le thème de la réduction des niches fiscales (qui n'est qu'une manière particulière d'augmenter les impôts) puis par l'annonce d'une réforme de la fiscalité du patrimoine au printemps.

La fiscalité, autrefois matière d'experts inspirant prudence et précaution aux profanes, est devenue un must du débat politico-médiatique sur lequel chacun désormais se doit d'avoir un plan. Comme toujours dans ces circonstances, les experts de la matière concernée ne participent plus au débat, qu'ils risqueraient de gâter.

En effet, cette soudaine popularité de la réforme fiscale semble aberrante dans le contexte actuel d'un véritable effondrement des recettes publiques sous les différents effets de la crise. Les prélèvements obligatoires qui représentaient 44 % environ du PIB depuis de nombreuses années sont subitement tombés en dessous de 42 %.

L'évidence budgétaire dans ce contexte devrait être le moratoire ou l'apnée, c'est-à-dire la suspension de toute réforme fiscale : une entreprise dont le chiffre d'affaires s'effondre n'augmente pas ses prix mais ne réfléchit pas non plus à accroître ses ristournes à la clientèle.

Par ailleurs, toute l'histoire fiscale nous apprend qu'il n'y a pas de réforme fiscale raisonnée, intelligente, à somme nulle mais uniquement des réformes qui coûtent. Les augmentations d'impôts elles, réussissent par surprise et habileté manoeuvrière, lorsque des marges de manoeuvre existent.

Mais comme tout a toujours un sens, ce thème obsédant de la réforme fiscale exprime en réalité autre chose, qui est une poursuite du déni antérieur : on a admis que la pratique du déficit n'est plus de mise mais l'on est décidé à ne pas examiner les conséquences qui en résultent en termes de dépenses publiques.

En dépit de notre intérêt pour la suppression de l'ISF dont les dégâts considérables sur l'économie nationale ont été maintes fois soulignés par elle, la Fondation Concorde estime dangereuse toute décision de réforme fiscale qui précèderait le diagnostic et le plan d'action global requis pour sauver nos finances publiques et donc notre économie.

Le diagnostic

Les prélèvements obligatoires en France qui étaient contenus au dessous de 34 % du PIB depuis de nombreuses années jusqu'en 1974 sont passés depuis lors à plus de 44 % en 1999 pour redescendre à 42,8 % en 2008, contre 36 % en moyenne dans l'OCDE et 39 % dans l'Union Européenne.

Le risque de la fuite de la matière imposable

Dans ce contexte, un redressement des prélèvements obligatoires autour de 44 % du PIB est sans doute possible et souhaitable si un grand talent peut être mis à le réaliser de manière efficace, c'est-à-dire sans faire fuir la matière imposable (nous en sommes aux antipodes avec l'actuel débat public permanent sur la réforme fiscale). Mais il serait à l'évidence irréaliste et voué à l'échec de prétendre aller au-delà dans un contexte où nous sommes déjà parmi les pays aux prélèvements les plus élevés.

Comme les recettes non fiscales représentent au maximum 6 % du PIB, la disparition du déficit ramènera notre capacité de financement des dépenses publiques à 50 % du PIB maximum (44 % + 6 %) et rendra donc techniquement incontournable une réduction de ces dépenses de 6 % du PIB au moins.

C'est que la France a perdu depuis 35 ans la maîtrise de sa dépense publique qui est passée de 39,3 % en 1974 à 54 % du PIB en 2007 et à 56 % aujourd'hui. Ce paramètre est plus important quant aux effets sur l'économie que celui des prélèvements obligatoires, dont l'augmentation a été moindre (cf. ci-avant) à la faveur de déficits budgétaires sans cesse croissants qui pèsent tout autant que la fiscalité sur l'économie et sur la croissance.

Une sphère administrative hypertrophiée

C'est donc en 35 ans plus de 15 % du PIB qui a fait l'objet d'un transfert additionnel du libre marché à la gestion administrative, alors même que le modèle social du pays n'a pas changé et que bien des pays à modèle social plus ambitieux font mieux (Finlande, Danemark, Pays-Bas notamment).

D'autre part, la France a le ratio de dépense publique le plus élevé de l'OCDE, au coude à coude avec la Suède qui poursuit un mouvement de réduction rapide. L'écart par rapport à la moyenne OCDE (40,7 %) est de plus de 15 % du PIB, beaucoup plus important que celui observé en matière de prélèvements obligatoires (6 % environ du PIB actuellement avec 42,8 % versus 37 % en moyenne dans l'OCDE).

Cette collectivisation excessive des activités nationales hypothèque l'avenir de notre pays. Elle pèse sur la croissance dont elle explique le déficit régulier de 1 à 1,5 % par rapport à nos concurrents depuis de nombreuses années et qui est en train de se creuser rapidement avec notre principal partenaire l'Allemagne. Si cette situation perdure, la France sera demain un pays pauvre avec toutes les conséquences que cela comporte notamment pour les plus démunis. Le salut public exige donc que nous revenions à un taux de collectivisation dans la norme. Or la moyenne OCDE s'établit comme déjà vu à 41 % environ et la moyenne UE à 46 %.

C'est donc une réduction des dépenses publiques située entre 8 % et 13 % du PIB que notre pays devra réaliser pour enrayer son déclin.

Il est dès lors indispensable et urgent d'engager un effort de contraction de la dépense publique drastique, comme l'ont pratiqué au début des années 2000 les pays nordiques et quelques autres, toujours à hauteur de 1 % du PIB par an environ. Dans cette hypothèse, les marges de manoeuvre créées permettraient sans doute d'envisager en outre une opération de basculement fiscal du travail sur la consommation de nature à améliorer la compétitivité du pays.

A quelles conditions l'engagement d'un tel cercle vertueux est-il possible ?

Les politiques d'économie imposées aux services de l'Etat doivent certainement être approfondies mais ne sauraient suffire.

L'engagement récent des actions nécessaires à une réduction de la dépense publique locale doit se poursuivre et devrait permettre des économies non négligeables.

Cependant, au sein de l'Etat comme au niveau local, il conviendrait de compléter les démarches entreprises depuis 2007 en restaurant la sélectivité des politiques publiques : l'action publique ne doit être engagée que sur des objectifs dont l'intérêt général est indiscutable et non dans une démarche de supervision exhaustive des activités sociales, ni même de réponse obligatoire aux attentes et "besoins sociaux" qui s'expriment çà et là. C'était une part importante du rôle de l'homme d'Etat traditionnel de savoir réserver l'action publique à l'essentiel et ce rôle doit être restauré, son remplacement par la démocratie d'opinion étant un échec avéré.

Cependant, même une sélectivité retrouvée des politiques publiques ne suffira pas à accomplir la contraction considérable de la dépense publique qui s'impose.

Il faudra donc, pour y parvenir, s'interroger sur les activités dont le financement est collectivisé actuellement en France et identifier celles qui pourraient être rendues en tout ou partie au libre marché ou aux partenaires sociaux.


Quelles marges de manoeuvre ?

Il importe à cet égard, de surmonter l'immobilisme auquel conduit l'hostilité systématique à tout retour au marché d'activités précédemment collectivisée. Dès lors que les interventions publiques, dans une société démocratique, visent à résoudre certains problèmes et non à prendre progressivement le contrôle de toutes les activités sociales comme dans une société communiste, il est naturel qu'y ait "respiration" et donc que des activités un temps collectivisées puissent revenir au libre marché.

Sont exclues évidemment les fonctions régaliennes. Par ailleurs, les masses significatives sont connues : éducation d'une part, protection sociale d'autre part.

En matière d'éducation, la tradition publique est réellement ancienne (IIIème République) et les comparaisons internationales montrent que l'Etat intervient partout à des degrés divers (sauf en ce qui concerne l'enseignement supérieur, dans les pays les plus performants).

La protection sociale au contraire est une création plus récente, dont le contenu a beaucoup évolué récemment vers l'étatisation complète du système trahissant l'esprit de 1945 qui avait institué un système d'assurances sociales gérées paritairement par les partenaires sociaux.

Par ailleurs, elle recouvre des sous-ensembles dont le modèle et les effets sont profondément dissemblables :

– la branche dite famille est un système fiscalo-budgétaire en vase clos dans lequel le rapport entre la contribution de chacun et ce que reçoit son foyer est tout aussi aléatoire qu'en matière de TVA ou d'impôt sur le revenu, contreparties de l'accès à l'éducation, à la justice, etc… De plus, le système a évolué progressivement dans le sens d'une séparation de plus en plus marquée entre les bénéficiaires et les contributeurs, du fait de la prise en compte des ressources pour l'octroi des prestations. C'est donc un mécanisme fiscal très progressif qui s'ajoute à l'impôt sur le revenu.

– la branche vieillesse au contraire demeure essentiellement contributive. Les droits de chacun à une retraite dépendent pour l'essentiel de sa contribution aux régimes pendant son activité. C'est plus vrai encore des régimes complémentaires (Agirc Arrco), qui en définitive, pourraient cesser d'appartenir aux dépenses publiques et aux prélèvements obligatoires, sans que le rapport contribution/bénéfice de chaque ressortissant soit modifié. Seul le choix de la répartition, imposant un système unique et obligatoire, justifie leur inclusion dans ces agrégats.

– la branche santé est quant à elle hybride. Elle est financée pour l'essentiel par prélèvements sur les salaires (cotisations sociales, CSG, CRDS) et les revenus de l'épargne (CSG, CRDS) sans que les salariés et les épargnants aient des droits particuliers sur les prestations (ils ont même des droits plus restreints à certains égards que ceux qui ne contribuent pas). En outre, ces prélèvements sont proportionnels et déplafonnés, ce qui, compte tenu de la nature fixe de la prestation, leur confère les effets d'un impôt fortement progressif, qui constitue la troisième couche de cette catégorie, s'ajoutant à l'impôt sur le revenu et aux cotisations de la branche famille.

Il n'en reste pas moins que l'essentiel de la dépense de santé est financée par les français au travail, bénéficiaires des soins au moyen de leurs cotisations.

Le système de soins lui-même souffre à l'évidence d'un déficit de gestion proche du terrain. La substitution progressive de l'Etat aux partenaires sociaux dans le pilotage du système n'a amélioré ni la situation financière ni les performances sanitaires. En revanche, les éléments qu'ont continué à gérer les partenaires sociaux et notamment l'assurance complémentaire maladie ont bénéficié d'une gestion de qualité bien qu'elles aient été ponctionnées de plus en plus lourdement pour assumer les fin de mois du système de base.

Enfin, en termes de clarté et de justice fiscale, il n'est guère admissible de soumettre les salariés à une telle accumulation de prélèvements ayant la même nature d'impôts sans contrepartie à effet progressif, tout en les dissimulant à leurs yeux par une imbrication organisée avec les versements contributifs qu'ils effectuent pour eux-mêmes. Il est d'ailleurs étrange que cette superposition de prélèvements dans la confusion ne soit relevée par aucun de ceux dont le métier ou la vocation est de défendre les intérêts des travailleurs.

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Une réforme du financement de la santé pourrait permettre la diminution nécessaire de notre dépense publique.

Une telle réforme mérite bien sûr murissement et la commission santé de la Fondation Concorde proposera des pistes dans les semaines à venir.

L'important est de sortir du consensus actuel de déni sur une équation évidente que notre pays devra résoudre rapidement.

La réduction nécessaire des dépenses publiques en France n'est pas une option mais une nécessité incontournable dès lors que la pratique des déficits va cesser.

Nier cette nécessité ou tenter de la différer, ne ferait qu'accroître encore l'échelle des difficultés qui devront être résolues ensuite.

Et, tant que ce véritable agenda n'est même pas sur la place publique, toute annonce de réforme fiscale, même la mieux inspirée, ne pourra qu'accroître le stress, la souffrance et les déperditions de notre pays.

En résumé, il est urgent d'enrayer l'hémorragie budgétaire avant de créer de nouveaux impôts. Cela rassurerait les marchés dont le comportement peut avoir dans l'avenir un impact sur notre dette.

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