Par Michel Rousseau, Président de la fondation Concorde, et David Baverez, Investisseur, auteur de Génération Tonique (Plon, 2015)
Le spectaculaire retour de la Chine depuis 2008 sur l’échiquier mondial nous oblige à repenser des schémas désormais caduques. C’est maintenant au tour des banquiers d’affaires d’affronter une rupture historique. En réalisant soudainement au premier semestre 2016 près du quart des acquisitions mondiales, l’Empire du Milieu change les règles du jeu des fusions-acquisitions sur tous les plans.
Changement quantitatif d’abord : les investissements directs chinois en Europe ont déjà décuplé de 2010 à 2015 pour atteindre 20 milliards de dollars, mais ce sont désormais 200 milliards de dollars annuels que le gouvernement de Xi Jinping a décidé d’allouer aux investissements à l’étranger au cours des cinq prochaines années. Un chiffre à comparer aux maigres 7 milliards d’investissements chinois cumulés en France, inferieurs à la seule capitalisation boursière du groupe Accor, aujourd’hui convoité par le groupe étatique JinJiang. Les transactions se comptent désormais en dizaines de milliards, à l’image du leader agro-alimentaire suisse Syngenta racheté par le groupe ChemChina pour 45 milliards.
Contrairement aux précédentes vagues japonaises ou américaines, cette soudaine offensive chinoise est là pour durer. D’abord, parce qu’elle ne fait qu’entamer la plus grosse diversification d’actifs de l’Histoire, celle du Trésor de 20 000 milliards de dollars de dépôts bancaires chinois soumis au contrôle des changes, cherchant désormais à s’investir à l’étranger, quand bien même au modeste rythme d’un pour cent annuel. Ensuite, parce que le fameux rééquilibrage de l’économie chinoise fondée sur la consommation intérieure peine à se réaliser compte tenu de gains de productivité déclinant. La plus faible progression des salaires ne peut être combattue que par un recours accru à la technologie occidentale. Pirelli, Krauss-Maffei, Kuka, demain Leroy Somer ?… On voit bien que la liste des joyaux européens passés récemment sous pavillon chinois ne fait que s’allonger. En ce qui concerne Leroy Somer, entreprise impliquée dans le cœur de notre secteur nucléaire et de notre défense, sa vente à des intérêts chinois nous semble bien imprudente.
Mais de manière plus pernicieuse, les Chinois innovent dans leurs méthodes pour procéder à leurs acquisitions en établissant de nouvelles règles du jeu dans l’intérêt de leur marché domestique. Soit en offrant son ouverture, comme dans le cas de Syngenta, soit en menaçant de sa fermeture, comme dans le cas de la technologie américaine de Cisco, Hewlett Packard ou IBM.
En ce sens, la Chine s’inspire du double langage américain, mixant propos libéraux de principe et protectionnisme de fait. Force est de constater malheureusement que l’Europe, et notamment la France, se révèlent jusqu’à présent incapables de s’adapter à ce nouvel environnement.
La France semble se réjouir de limiter les investissements chinois à seulement 2% des flux étrangers vers l’hexagone tandis que l’Europe reste fidèle a son libéralisme de principe. Résultat: nous attendons de voir nos champions d’hier à genoux pour les laisser recapitalisés à bas prix par nos “amis” chinois – hier PSA, aujourd’hui Areva, demain EDF, après-demain STMicro?
Une politique beaucoup plus offensive s’impose ; elle repose sur trois leviers principaux :
- Acquérir une connaissance plus profonde des carences actuelles du modèle chinois de manière à en mieux cerner les besoins en Occident, afin de les monnayer au prix fort.
- Développer une bien meilleure intelligence des acteurs de l’Empire du Milieu, privilégiant les futurs leaders mondiaux comme Midea, dont l’alliance avec Xiaomi, Bosch et Kuka, est appelée à en faire un acteur majeur de la révolution des objets connectés; et évitant les futurs fiascos tels que la privatisation de l’aéroport de Toulouse.
- Imposer systématiquement le principe de réciprocité, à commencer par le statut d’économie de marché que l’Europe se doit de refuser à la Chine, tout en lui indiquant le chemin à suivre pour le futur.
Qui connaît l’Empire du Milieu sait que “faire le jeu de la Chine” ne conduit qu’à nourrir son plus profond irrespect.